Dieu ou Diable ? Extrait du chapitre 10 -

 

Toujours sur ses genoux qui commencent à se rappeler à lui, Adrien se force au calme. Dans ses histoires favorites, le héros doit être prudent. Pour atteindre le trésor à portée de main, il y a toujours un piège. Il observe dans l'obscurité le bois de la minuscule porte entrouverte qui luit comme une invite. Le garçon réfléchit. Il a totalement oublié son cours, et son retard est irrattrapable. Cette fois, il aura une bonne excuse, puisqu'il a trouvé un trésor.

« Voyons que pourrait-il y avoir là-dedans comme piège ? Un serpent ? Non, non. Il serait mort de faim, depuis le temps. Un mécanisme qui lance une flèche empoisonnée. ? Mieux ! Une pierre qui tombe sur la main. En soulevant l'objet, je déclenche le système de contrepoids et la pierre m'écrase la main. Et on devra me la couper. »

Cette image sanglante et la douleur imaginaire, lui donnent des frissons. Il se secoue et, pour se donner un peu de courage, il marmonne entre ses dents :

- Bon, je ne vais pas rester ici toute la journée ! Il faut que je fasse quelque chose et voir ce que renferme cette cachette.

Sans plus tergiverser et au mépris de ce que conseillent ses héros dans leurs nombreuses aventures, il ouvre en grand le mince panneau de bois et plonge la main à l'intérieur. Tout d'abord, ses doigts ne sentent rien. Il les promène dans l'espace et, soudain, vers le bas, il sent une surface lisse. Sa petite main se referme sur l'objet et le tire à lui. C'est une boîte longue. Elle mesure environ huit centimètres de large sur vingt de long pour cinq centimètres d'épaisseur. Elle semble faite d'un bois précieux. Adrien ne voit pas bien les détails dans l'ombre, mais elle semble sculptée de différents personnages. De la nacre et des fils d'or décorent la scène. Il est impatient de savoir ce que renferme l'objet en sa possession. À quatre pattes et à reculons, il sort de sa cachette, sous l'échafaudage, en serrant sous son bras sa trouvaille... Il s'approche d'une fenêtre et, à la lumière, le garçon aventureux distingue mieux la marqueterie. C'est une scène aux champs. Les personnages sont magnifiquement représentés. Il y a là celui qui sème, d'autres qui récoltent, les femmes qui font le battage.... C'est magnifique. La nacre brille comme une lune pâle. Des minuscules bouts de nacre, par centaines, sont taillés en forme de grains de blé. Chaque tige est soulignée par un fil d'or. Le travail est minutieux de détails. Adrien devine que rien que la boîte vaut une fortune, ne serait-ce que par la perfection du travail.

N'y tenant plus, il cherche le mécanisme pour l'ouvrir. Il inspecte chaque côté, mais il ne perçoit aucune serrure. Il triture, tâte, retourne, secoue l'objet. En vain.

L'enfant est plus que frustré. Il va devoir s'en remettre à Odon pour en percer le mécanisme. À cette idée, il s'arrête net en levant la tête :

« Comment lui expliquer cette découverte ? »

De peur des représailles, qui ne manqueront pas, l'enfant déglutit. Mais il faut bien se rendre à l'évidence, cet objet ne lui appartient pas, c'est la propriété de l'abbaye.

« Je dois en parler à Odon, et tant pis pour le reste », se dit-il, en haussant les épaules.

Fort de sa décision, la boîte coincée sous le bras, il se précipite à la recherche du père Odon.

Les moines, occupés à diverses tâches, aperçoivent Adrien traverser le monastère moitié courant, moitié boitant et serrant un objet dans ses bras. Hors d'haleine, il demande à tous ceux qu'il croise s'ils ont vu le père Odon. Chaque fois on lui répond que non, sans oublier de lui rappeler de ne pas courir dans le bâtiment. Et, à chaque fois, l'enfant baisse la tête d'un air contrit, repart plus lentement. Mais, dès un virage franchi, accélère de plus belle. Enfin un moine, dans le cellier, lui indique qu'Odon se trouve sans doute au grenier pour compter les lits vacants pour cet hiver. Le remerciant à la hâte, Adrien fait demi-tour et emprunte la direction indiquée, sans répondre au moine qui lui demande ce qu'il tient dans ses bras.

Un plancher vétuste et tout un bric-à-brac amoncelé là depuis des lustres, interdisent à Adrien, pour sa sécurité de monter dans le grenier. Levant la tête, depuis la cour extérieure, il crie :

- Père Odon, venez voir ! Pèere Odooon !

Crier, non plus, il n'en a pas le droit, dans ce monde réservé à la méditation et à la prière. Mais bon ! Il y a urgence. Le garçon s'impatiente, il se tord le cou pour voir si apparaît à une fenêtre celui qu'il cherche depuis un bon moment. Il s'apprête à crier à nouveau, quand Odon apparaît enfin. Tout joyeux, il hurle de toute la force de ses petits poumons :

- Descendez ! Vite, je dois vous montrer quelque chose !

Odon fronce les sourcils :

« Comment réussit-il tout seul, à faire autant de bruit ? »

Mais c'est là le seul signe de courroux dont il sait faire montre envers lui. Un enfant, c'est toujours désobéissant. C'est formateur après tout. De plus Adrien est tellement agréable, généreux et serviable et, pour ne rien gâcher, il est doué pour les études. Il ne parvient jamais à lui en vouloir très longtemps.

« Allons bon ! Qu'est-ce qu'il a encore inventé aujourd'hui ? »

Ses yeux se faisant vieux, de là où il se tient, il croit distinguer le visage rayonnant du petit garçon.

Plutôt que de crier en retour pour savoir ce qu'il veut et troubler, lui aussi, la paix des lieux, autant descendre.

« De toute façon, j'en ai terminé ici, hélas ! »

Comme il le craignait, un grand nombre de literies est pour cette année à renouveler, sans compter le nombre supplémentaire de demandes d'hébergement qui vont lui être soumises cet hiver. Il lui faut plus de lits.

- Ça, et tellement d'autres choses, soupire-t-il en redescendant.

Adrien, en voyant la tête du père Odon disparaître, décide de rentrer dans le bâtiment pour l'y attendre. C'est le réfectoire. Il pose, soulagé, la lourde boîte. Au début, elle lui a semblé légère, mais à force elle est devenue pesante. À nouveau, il admire la minutieuse décoration dont les reflets luisent délicatement à la lumière du soleil, rendant l'ouvrage surréaliste, comme si les petits personnages de la scène champêtre étaient animés. L'enfant est tellement hypnotisé par la scène qu'il n'entend pas venir dans son dos Odon. Lorsque celui-ci l'interpelle, il fait un bond de surprise.

- Eh bien, Adrien, que nous vaut tant d'agitation ?

En se retournant, il aperçoit Odon, bienveillant, qui le regarde en souriant.

- Venez voir mon père, dit l'enfant en s'écartant de la table et en lui désignant la boîte.

Le moine fronce les sourcils et s'approche. Adrien surveille chaque expression de son visage. Il est, lui aussi, captivé par l'objet.

- Où as-tu trouvé cela, mon garçon ?

- Vous ne me gronderez pas ?

Odon, cette fois, se retourne, inquiet de ce que ces mots recèlent d'interdits bravés. Mais il a toujours encouragé le franc dialogue. C'est pourquoi, il rétorque avec son regard malicieux :

- Tu es là, debout et non mort, cela signifie que tout va bien, n'est-ce pas ?

Adrien ne va pas compromettre ses chances en lui disant qu'il a très mal aux coudes et aux fesses. Au mieux, il se ferait gronder pour avoir désobéi, au pire, ils l'obligeraient à se faire ausculter par l'infirmier, frère Thomas. Donc il se tait.

- Alors, dit d'une voix douce Odon, peux-tu me dire dans quelles circonstances tu as trouvé ce merveilleux ouvrage ?

Et Adrien raconte sa recherche habituelle du trésor, son retard, et sa découverte. Il a tu le passage de la chute. Le moine l'observe longuement puis se tourne vers la boîte.

- Es-tu parvenu à l'ouvrir ?

- Comme vous pouvez le voir, il n'y a pas de serrure. J'ai cherché sur les côtés, mais elle ne veut pas s'ouvrir. Il hausse les épaules, un peu vexé de ne pas avoir trouvé la solution.

- Elle est magnifique. Je ne sais pas ce qu'elle renferme, mais la boîte en elle-même vaut son pesant d'or. Je pense que c'est un Maître orfèvre qui a dû réaliser cette merveille.

- Elle date de quand, à votre avis ?

- Je ne sais pas, avoue-t-il. Cessons de spéculer. Viens, allons plutôt dans mon bureau. Peut-être qu'avec une forte loupe j'arriverai à détecter le mécanisme. Je me demande pourquoi quelqu'un a éprouvé le besoin de cacher cet objet !

- C'est un trésor, hein ?

Adrien est heureux de constater que sa découverte intrigue son mentor autant que lui.

- Je le pense en effet, mais de quelle nature ?

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